15.8.06

chapître 3 Semailles





Photo D.M.


Il existe, aux creux des gouffres cosmiques, des résidus de mondes oubliés, de vieux bouts de planètes décrépites, où les courants mystérieux du vide déposent en strates arides les déjections de la grande vague.

L’homme, rejeté avec tant de dégoûtation, se réveilla par la douleur d’une brûlure qui lui rongeait la moitié du corps, allongé sur le sol d’une énorme croûtasse de roche déchirante et de chaux aveuglante. La chair à vif, il dut se relever, fouiller l’horizon à la recherche de quelque surface moins agressive pour sa peau. Mais, aussi loin qu’il pouvait voir, rien que la fournaise blanche hérissée par endroits de lames de pierres. Alors, par instinct, parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire, il se mit à marcher. Cela dura des jours, des mois, des années. Son épiderme, soumis en permanence à l’agression du sol, s’épaissit et se densifia en une sorte d’arrangement d’écailles. Comme aux temps lointains de sa flaque de sable, son corps s’enfonçait naturellement dans la profondeur de la couche acide. Celle-ci, d’ailleurs, complètement sèche et d’un grain infiniment plus fin, opposait moins de résistance à ses mouvements. Il devait lutter en permanence pour garder la tête hors du sol et respirer, dans de grandes souffrances, un air desséché qui lui carbonisait les bronches et les poumons.

Il étirait ainsi son sillon désespérant depuis des temps et des temps lorsqu’il aperçut un îlot au loin, bruissant et verdoyant. Des idées lui revinrent du fond de la mémoire, de fraîcheur, d’humidité, de grouillement de vie. Il hâta sa progression, s’arrachant plus que avançant dans la gangue brûlante. Il finit par poser ses mains calleuses, puis le corps entier, sur le sable tendre et frais de l’îlot. Enfin, cette tendresse et cette fraîcheur, les devinait-il plus qu’il ne les ressentait, sa peau croûteuse et des-innervée opposant un obstacle de mort entre son corps assoiffé et la tiédeur des choses.Au sommet de l’îlot se dressait le cercle d’une dizaine de dattiers au pied desquels surgissait, glougloutant, un filet d’eau fraîche. Quelques buissons s’entrelaçaient tout au long du ru qui s’enfonçait, à quelques pas de là, dans l’enfer de la mer de chaux. A ce point de contact, un bouillonnement d’effluves âcres dévoilait bien la violence des farouches retrouvailles entre deux éléments frustrés depuis trop longtemps de la présence de l’autre.






Photo D.M.



L’homme, après avoir arpenté en tous sens cette émergence vivante, comprit à certaines traces, qu’en des temps oubliés, s’était édifiée là de la construction humaine, qu’on avait su tirer de ce sol abandonné de quoi nourrir un peuple, qu’on avait abreuvé de cette eau, aujourd’hui dérivant sans but entre les ronces, des troupeaux solides et gras. Comme il savait au fond de lui que l’homme n’est pas fait pour se nourrir de ronces et d’écorces d’arbres, comme il savait qu’au creux de la roche le germe de vie peut attendre des siècles durant la goutte de pluie de toute féconditude, il se mit, de ses mains cornées, à remuer le sol de l’îlot perdu. La terre s’ouvrait d’ailleurs de bonne grâce, depuis si longtemps reposée et prête à l’œuvre de vivification. Il fit remonter ainsi des graines endormies de mille espèces de choses, il détourna le fil de l’eau aux sillons impatients et grouillants de promesses de récoltes. Des têtes d’épingle vert tendre surgirent peu à peu du sol, s’étirèrent au soleil, se gorgèrent d’eau et de terre grasse. Des arbres aussi se mirent à grimper à l’assaut des étoiles, balançant au gré du vent leurs fruits jaunes et rouges à la face du monde.
Surgis d’on ne sait quels recoins de l’univers, des insectes, des oiseaux, des bestiaux à pattes et sans pattes partagèrent avec l’homme, en toute camaraderie, oeuvrant chacun à sa façon à la propagation et l’extension du miracle de cette vie, les richesses généreuses de ce bout de monde qu’il avait su féconder.
Cela dura ce que cela devait durer.Il ne fallut qu’une heure de temps pour qu’il ne restât de l'îlot qu’un tas de copeaux. Le nuage de sauterelles n’avait fait que frôler le caillou vivifié. Mais ça avait suffi. Le sable de chaux vive déposé par le vent paracheva l’œuvre d’annihilation.
L’homme reprit dans la poudre brûlante son hallucinante reptation.
Des oasis, il en rencontra d’autres, éparpillées sans liens entre elles que des déambulations d’êtres égarés. Il ensemença encore, sur l’une puis sur l’autre. Quelques arbres se hissèrent encore, hypnotisés par quelque musique solaire, mais ce n’était toujours que d’éphémères éclosions, des illusions d’espoir, des hoquets de corps moribonds. Le sel du sable finissait par ronger les racines des végétaux, le fouet du vent desséché par briser les tiges et les troncs, la poudre brûlante du désert par étouffer la respiration des êtres. Et il repartait, ailleurs, ailleurs toujours.




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